21 janvier 2012

L'homme qui aime cette femme


Millenium, Les hommes qui n'aimaient pas les femmes, de David Fincher, 2h38, USA
Avec Daniel Craig, Rooney Mara, Christopher Plummer, Robin Wright, Stellan Skarsgard...




  Depuis maintenant plusieurs années, la sortie d’un film de David Fincher fait figure d’événement attendu par la critique et les cinéphiles de tout bord. Mais jamais un de ses films n’aura suscité autant d’attente que celui-ci. En effet, à la suite du succès de The Social Network, le cinéaste annonce qu’il réalisera le remake (il serait d’ailleurs pertinent de s’interroger sur cette notion un de ces jours) du film Suédo-danois Millénium, adapté de la trilogie littéraire scandinave éponyme du regretté Stieg Larsson. Le film de Niels Arden Oplev étant plutôt réussi, on était en droit de se demander ce que pouvait réellement apporter la présence de David Fincher dans cette entreprise. Et autant le dire tout de suite, le film du cinéaste Américain est bien meilleur que le film original.

  Pour la poignée de réfractaires qui ignorerait tout de l’histoire, la voici en quelques lignes. Après un procès perdu face à un puissant homme d’affaires corrompu, faute de preuves vérifiables, le journaliste Mikael Blomkvist (Daniel Craig) voit sa crédibilité et son épargne réduites à néant et son journal, le Millénium, menacé de faillite. C’est alors que se manifeste le patriarche d’une des plus éminentes familles d’industriels suédois, qui lui propose, contre une importante somme d’argent et la promesse de lui fournir les preuves qui lui permettraient de gagner son procès en appel, d’enquêter sur la disparition de sa nièce, survenue quarante années plus tôt. Un bon moyen de regagner sa crédibilité, laver son honneur et de renflouer le navire en somme. Epaulé de Lisbeth Salander (Rooney Mara), jeune femme cyber-punk à l’enfance douloureuse et génie de l’informatique, Blomkvist va se frotter à la face cachée de l’empire Vanger. Mensonges, tortures, viols, inceste, sérials-killers, criminels nazis, animaux mutilés, voilà ce qui vous attend au programme de ce thriller glaçant et métallique. David Fincher y explore alors un univers qu’il maîtrise depuis ses premiers films, où le sombre et le chaos règnent en maître sur un monde dominé par ces forces souterraines. On pense alors très fort à Seven ou à Fight Club, les tics visuels en moins.

  Mais là où le film se montre fascinant, c’est dans la collision entre le matériau original et l’univers du cinéaste. Au vue du texte de Stieg Larsson, il n’est pas difficile d’en tirer un thriller convenable (ce qu’est le film de Niels Arden Oplev). David Fincher en a lui saisi l’essence, pas seulement l’esprit, pour l’entraîner, par touches subtiles, vers des rivages hautement plus personnels. Ce qu’il propose au sein même de ce film, c’est la confrontation qui travaille l’essentiel de son œuvre, celle du moderne contre l’archaïque. Les méthodes à l’ancienne de Mikael Blomkvist s’oppose à l’univers virtuel de Lisbeth Salander. Si le travail du journaliste permet de relancer l’enquête, ce n’est que par l’arrivée de la jeune rebelle que se déverrouillent les derniers cadenas de l’affaire. Elle est littéralement celle qui possède les solutions et qui sauve Blomkvist d’un funèbre destin. Elle est la véritable héroïne du film, personnage jumeau du Zuckerberg de Social Network et proche cousin du Robert Graysmith de Zodiac. En l’élevant au rang d’anti-héros, David Fincher démontre une nouvelle fois son empathie pour les personnages d’anti-sociaux, de rebelles et d’exclus et offre un rôle en or à la révélation Rooney Mara.

  Le film est construit comme une véritable descente dans les entrailles visqueuses d’un monde en apparence reluisant. Si The Social Network était une variation sur la figure du champ contre-champ, ce Millenium possède une construction verticale, notamment descendante. Pour résoudre cette enquête, Blomkvist va devoir plonger dans l’obscurité insulaire des manoirs Vanger aux volets fermés, faits de couloirs et de cavités, là où les apparences ne tiennent plus et où les comportements humains laissent place à une animalité sans scrupules. Dans cette descente, il rencontrera la belle Lisbeth Salander, écorché vif désabusée par le monde des hommes et s’unira avec elle. Mais ces deux personnages n’appartenant pas au même monde, Blomkvist retrouvera la lumière tandis que Lisbeth retournera, seule, se tapir dans l’obscurité. Ce que le dernier plan du film traduit dans un mouvement desendant dont la beauté n’a d’égal que sa puissance dramatique. 

Still Alive


  Un temps menacé par des problèmes de budget, le Festival International du Film Fantastique de Gérardmer tiendra bien cette année sa XIXème édition pour le plus grand bonheur des amateurs de cinéma de genre. Avec le récent succès du tout nouveau PIFF (Paris International Fantastic Film Festival), c’est le spectateur qui est gâté. Néanmoins, on peut se demander s’il y a la place en France pour deux grands festivals consacrés au fantastique, sachant que la notion de cinéma de genre est elle-même chahutée depuis quelques années. L’un ne va-t-il pas manger l’autre ? Seul l’avenir nous le dira.
  En tout cas, pour la cinquième année consécutive, l’équipe de Sur La Route du Cinéma se trouvera dans les Vosges à partir du 25 Janvier pour couvrir l’ensemble du festival dans les moindres recoins de ses sélections. Et cette année, autant dire que le programme s’annonce alléchant. Pour ouvrir le festival, ce n’est pas moins que le grand Francis Ford Coppola qui viendra ouvrir le bal avec son dernier long-métrage, Twixt avec Val Kilmer et Elle Faning. Pur moment de magie garantie par un cinéaste dont l’œuvre est parcourue par un frisson de fantastique et de féerie. Autre événement de ce XIXème festival, l’hommage fait à l’acteur Ron Perlman, véritable gueule du cinéma de genre de ces vingt dernières années. Le prix sera remis par, celui qui lui a confié ses plus premiers grands rôles, le réalisateur Jean-Jacques Annaud.

  Présidé par le dessinateur et réalisateur Enki Billal, le jury sera une nouvelle fois des plus éclectiques, composé entre autres de Vincent Desagnat, Christine Citti, Joann Sfar, Tomer Sisley, Tonie Marshall, Dinara Drukarova, Agnès Merlet. Il sera chargé de départager 8 longs métrages en compétition. Si les retours sur les films présentés sont rares, on peut quand même citer le nouveau rôle de Noomi Rapace après Millenium dans Baby Call en mère au bord du gouffre, le nouveau film de la réalisatrice d’American Psycho, the moth diaries, et un film espagnol signé Kike Maillo avec le polyglotte Daniel Brühl. Hors compétition, on retrouve le troisième long métrage de Marina de Van, nouvelle adaptation du Petit Poucet, Chronicle de Josh Tank, dont les bandes annonces inondent les salles obscures. Plus attendu, Lucky McKee, le réalisateur du cultissime May revient avec The Woman, confirmant au passage son attrait pour les personnages féminins. Ces films côtoieront d’autres aux pitchs plus déjantés, mettant en scène pêle-mêle des ninjas défiant des vikings et autres aliens en bikini. Et enfin, pour clôturer le festival, Xavier Gens viendra présenter son dernier film, The Divide, au casting international.

  Seul changement notable, la suppression de la sélection Inédits Vidéos, devenu désuète, au profit d’une sélection nommée extrême, promettant des films qui vont se frotter aux limites du genre, dans laquelle on retrouve les derniers films de Darren Lynn Bousman (Saw, Repo Man), Joël Schumacher (Batman Forever, 8mm) et le premier film du clippeur Alexandre Courtès. Pour finir, évoquons la traditionnel Nuit Fantastique, cerise sur le gâteau, dont l’ambiance sera une nouvelle fois surchauffée car la nuit est consacrée à la comédie horrifique. Un lourd programme que nous vous décortiqueront tous jours sur Brume 90.7FM.

Retrouvez-nous nombreux du 25 au 30 janvier sur Radio Brume 90.7FM. Et pendant notre absence, n’oubliez pas, allez au ciné.

L’aventure selon Spielberg

Les Aventures de Tintin: Le Secret de la Licorne de Steven Spielberg, 1h47, USA
Avec Jamie Bell, Andy Serkis, Daniel Craig, Simon Pegg, Nick Frost…
C’est avec la sortie des Aventuriers de l’arche perdue, en 1981, que Steven Spielberg entendit parler pour la première fois de Tintin, ce jeune reporter belge parcourant le monde d’aventures en aventures. Une critique française avait en effet vu le lien de parenté entre le personnage d’Hergé et son célèbre archéologue Indiana Jones. Subjugué par la force narrative des récits du dessinateur, Steven Spielberg se met alors en tête d’acheter les droits de la bande-dessinée avec l’idée de l’adapter le plus fidèlement possible. Il lui fallut près de trente ans afin trouver la technique adéquate. C’est l’association avec son héritier direct, le réalisateur du Seigneur des Anneaux, Peter Jackson et une visite sur le tournage d’Avatar dirigé par James Cameron qui l’ont convaincu que seule la technique révolutionnaire de la performance capture pouvait saisir l’essence même de la ligne claire chère à Hergé.

Tout le monde, au moins une fois dans sa vie, a lu ou vu, la formidable série en dessin animé de notre enfance, une aventure de Tintin. De fait, dire que cette nouvelle adaptation était attendue et redoutée tient purement de l’euphémisme tant la création d’Hergé est aimée à travers le monde, voir même adorée par certains aficionados. Force est de constater que Les Aventures de Tintin: Le Secret de la Licorne, qui reprend ici trois albums (à savoir Le Secret de la Licorne, Le Trésor de Rackham le rouge et Le Crabe aux pinces d’or), est une réussite exceptionnelle et relève du jamais vu sur un écran de cinéma.

Non seulement la performance capture parvient à exposer avec crédibilité l’univers si particulier du dessinateur, entre simplicité et détails à foison, mais aussi à hisser la mise en scène toujours virtuose de Steven Spielberg vers de nouveaux sommets. Il faut voir le degré de réalisme ici atteint nous présentant des êtres numériques entre réalisme du corps humain (veines, pores de la peau, saleté sous les ongles etc…) et traits de bandes-dessinées. A ce titre le Capitaine Haddock, véritable héros du film et personnage Spielbergien en diable de par son passé familial meurtri, est d’une beauté à couper le souffle.

Le réalisateur de Jurrasic Park revient avec Tintin à l’aventure au sens le plus noble du terme et au spectacle total, sources même de son cinéma, ici dégagées de toutes contraintes techniques comme le prouve cette scène hallucinante à Bagghar où tout s’écroule, explose, saute de voiture en voiture, voltige dans les airs dans une pleine séquence d’anthologie. Comme si Steven Spielberg voulait marquer une date dans l’histoire de ce cinéma nouveau et décomplexé après les monumentaux Speed Racer, Avatar ou Scott Pilgrim. Le film de James Cameron nous l’avait promis, celui de Steven Spielberg nous le prouve: nous vivons là une décennie de cinéma de folie.

La fidélité envers l’œuvre de Hergé et la mise en scène sont bel et bien au rendez-vous tout comme le scénario habile signé des meilleurs anglais du moment, à savoir Steven Moffat , Joe Cornish et Edgar Wright, et bourré de transitions brillantes, de ruptures temporelles et de péripéties délirantes. Le tout en reconstituant avec un brio rare l’atmosphère de l’entre deux-guerres, des sérials d’antan, les thèmes récurrents du cinéma de Spielberg et l’esprit de Tintin bien sur.

Le génie du film tient pour beaucoup à son casting très bien pensé où l’expert de la performance capture Andy Serkis, ancien Gollum et King Kong et tout juste sorti du rôle de César dans La Planète des singes: les origines, livre une nouvelle performance en un Haddock alcoolique et dépressif tandis que Jamie Bell se révèle être un Tintin extrêmement convaincant. Et saluons l’idée, tout bonnement géniale, de confier les rôles de Dupond et Dupont au duo frappadingue Simon Pegg-Nick Frost véritables Laurel et Hardy modernes. Enfin, avec Les Aventures de Tintin: Le Secret de la Licorne John Williams, compositeur attitré des musiques de films de Steven Spielberg, signe là l’une de ses plus belles compositions à ce jours à la fois très européenne dans l’univers qu’elle dégage et remplie de mystères et d’aventures.

En somme Les Aventures de Tintin: Le Secret de la Licorne se voit tout simplement comme l’un des plus grands films d’aventures jamais vus dans la lignée directe de Lawrence d’Arabie, Le Trésor de la Sierra Madre et des Aventuriers de l’arche perdue de par son souffle épique, son rythme trépidant, ses personnages iconiques, ses décors évocateurs et sa mise en scène toujours plus immersive. Steven Spielberg tient là l’un des plus grands films de sa carrière et prouve à ceux qui ne l’avait pas encore compris qu’il est bel et bien le plus grand artiste de son temps.

Un très grand film à voir en famille !

5 octobre 2011

Toute la beauté des femmes

L’Apollonide, souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello , 2h02, France
Avec Hafsia Herzi, Noémie Lvovsky, Adèle Haenel, Céline Salette…


Une maison close feutrée à la fin du 19eme siècle, un client s’isole avec une prostituée et la mutile, le rêve ou le cauchemar éveillé peut alors débuter. Ainsi commence L’Apollonide, le cinquième film de Bertrand Bonello sélectionné cette année au festival de Cannes en compétition officielle. Cet habitué de la croisette signe ici une œuvre profondément remarquable de par son soin constant apporté aux actrices, cadres et autres lumières et livre un constat amère sur la condition féminine à travers les âges. Dans une volonté quasi documentaire, mais qui n’exclut jamais un travail poussé de mise en scène, Bertrand Bonello nous fait littéralement entrer dans un autre monde, véritable métaphore des tragédies de tout un siècle.

Reprenant une figure purement cinématographique, la prostituée, le réalisateur filme toujours au plus près les corps dénudés de ces fascinantes actrices entre désir, sensualité, crainte et répulsion. Et cela toujours au service d’une vérité sur une époque charnière, passage du XIXème au XXème siècle, transition d’un temps très glam-rock où la naïveté jouit de chaque instant, à un autre beaucoup plus sombre où tout désormais semble pervertit, la faute à l’Homme, responsable du péché originel du film.

Bertrand Bonello nous montre ainsi toutes les déviances possibles au sein de cet établissement quelque peu particulier. Tortures, balafres qui en découlent, bain de champagne, présence d’une panthère noire, simulacre de poupée et autres larmes de sperme, autant d’épisodes filmés avec un talent rare comme de véritables tableaux vivants. Il y a du Barry Lyndon dans cette mise en scène picturale de Bertrand Bonello, et pas seulement a-t-on envie de dire, tant le cinéaste emprunte et rend hommage à toute une tradition cinématographique.

Le Plaisir de Max Ophuls, et plus particulièrement son segment consacré aux prostituées de La Maison Tellier, y est cité au détour d’une scène de bain dans un étang à l’instar de La Dame de Shangaï de Orson Welles dans une démarche similaire de mise en beauté du corps féminin. Mais Bertrand Bonello en tant que grand cinéphile se permet d’aller encore plus loin en empruntant le style décalé du Marie-Antoinette de Sofia Coppola au travers une b.o toujours plus rock et inspirée (The Moody Blues, Lee Moses…) et la structure narrative du chef-d’œuvre de Sergio Leone, Il était une fois en Amérique. L’Apollonide, souvenirs de la maison close peut se voir en quelque sorte comme le pendant féminin du film du célèbre réalisateur italien au travers le personnage de Clothilde qui, pour s’échapper de ce huit-clos, préfère s’isoler dans le paradis artificiel que représente l’opium. Figure du criminel pour l’homme, figure de la prostituée pour la femme comme le souligne le film. Les visions fantomatiques se succèdent alors entre flash-back, flash-forward, entre passé, présent et futur et font entrainer le spectateur dans un étrange rêve. A ce titre, l’ultime séquence du film, pourtant surprenante de premier abord, se révèle être d’une logique pure au sein de cette narrativité à la fois magnifiquement onirique et tristement réaliste.

Signalons au passage l’interprétation sans faille des très bonnes (sans mauvais jeu de mot) Hafsia Herzi, Adèle Haenel et Celine Salette en prostituées au service de la toujours excellente Noémie Lvovsky.

Au final, Bertrand Bonello signe avec L’Apollonide, souvenirs de la maison close une rêverie amère et désenchantée, profondément travaillée de par son audacieuse narration et la beauté de sa mise en scène qui ne cesse de valoriser ses sublimes actrices. Un film libre, à l’inverse de ses personnages, jouant habilement des clichés d’une époque révolue afin de mieux capter les obsessions et les névroses de notre temps.

Dérapage controlé

A la sortie de Valhalla Rising, le guerrieux silencieux, le jeu
Drive de Nicolas Winding Refn, 1h40, 2011, USA
Avec Ryan Gosling, Carey Mulligan, Bryan Cranston, Ron Perlman, Albert Brooks…

A la sortie de Valhalla Rising, le guerrier silencieux, le jeune cinéaste Nicolas Winding Refn confesse qu’il désire réaliser un gros film américain en attendant de pouvoir retourner à des projets plus personnels. En 2011 Drive sort sur nos écrans et des gros films américains de cette trempe, on voudrait en voir toutes les semaines.

Le réalisateur danois débarque à L.A pour nous offrir l’histoire d’un as du volant, mécano et cascadeur le jour, driver pour des petits casses la nuit. Cet automate mutique va voir son rythme de vie calculé basculer à la rencontre d’Irène, une jeune mère dont le mari purge une peine de prison. Notre driver solitaire s’éprend d’Irène, au moment où Standard, le mari de cette dernière sort de prison. Ce dernier veut retrouver une vie de famille normale, mais une dette contractée en prison menace Irène et leur fils. Pour éradiquer toute menace notre driver va aider Standard dans un casse qui tourne mal. Mis au pied du mur le driver va devoir se servir de sa violence pour essayer de rétablir les choses.

Sur le papier Drive semble n’être qu’un énième film de self-défense, mais c’est un réalisateur à la poétique violente qui se charge de faire le film. Winding Refn installe dès la première séquence une esthétique urbaine, rappelant Michael Mann, teinté de couleurs vintage sentant bon les années 80, créant ainsi une atmosphère aussi pesante que magnifique. Il impose un rythme lent, faisant ressortir avec dynamisme les scènes d’action qui parsèment le métrage. Même si le pitch laisse croire que l’on sait exactement où le film nous conduit, le scénario réserve son lot de surprise aussi bien grâce à ces virages scénaristiques, que par les obsessions thématiques du cinéaste. Ce Drive, à l'instar des autres films de Winding Refn, se construit autour des mêmes récurrences, l’action violente, les personnages solitaires, les spirales où le protagoniste se doit d’affronter la fatalité.
Protagoniste tantôt cool et mystérieux, puis froid et barbare, incarné par le magnifique Ryan Gosling qui signe ici le rôle le plus important de sa jeune carrière, le jeune acteur illumine chacune des scènes par sa présence, son jeu minimaliste. Son visage,oscillant entre tendresse et colère, n’est pas sans rappeler cette dualité chère au cinéaste danois, qu'il avait déjà su déceler chez Mads Mikkelsen, héros de Bleeder, Pusher 2, et de Valhalla Rising, d’autres excellents films de Nicolas Winding Refn.

Tant de brio et de personnalité ont permis à ce jeune réalisateur de gagner le prix de la mise en scène au dernier festival de Cannes. Ce prix permettra certainement de révéler au monde un cinéaste sur lequel on devra compter dans le futur. Aussi froid et brillant qu’un néon, Drive est un film qui deviendra culte.

Le Mauvais fils


Et si notre enfant ne nous aimais pas
We Need to Talk about Kevin de Lynne Ramsay, 1h52, 2011, Royaume-Uni, Etats-Unis.
Avec Tilda Swinton, John C. Reilly, Ezra Miller, Jasper Newell…

Et si notre enfant ne nous aimais pas? Pire s’il nous haïssait de toutes ses tripes, pourrait-on l’aimer ? Lynne Ramsay adapte un roman à succès, narrant les déboires d’une mère de famille dont l’aîné Kevin lui en fait voir de toutes les couleurs.

Ce film, qui pourrait passer pour une comédie française bas du front, se démarque par son parti pris narratif, et la qualité d’interprétation de ses acteurs. Tilda Swinton prête ses traits à cette mère moderne, qui a renoncé à tout ce qu’elle rêvait pour son mari et son fils Kevin. Kevin, le sujet du film, l’enfant sadique à l’intelligence hors norme, entraîne sa mère dans une paranoïa graduelle, et s’arrange pour passer pour la victime aux yeux de son père.

We Need to Talk About Kevin, nous montre ce dont nous n’aimons pas parler : une mère qui regrette sa vie d’antan, car elle est martyrisée par le fruit de ses entrailles. Même si elle aime son enfant, l’hostilité qu’elle reçoit en retour, l’amène à penser à l’infanticide, idée qui la rend encore plus malade.

A la manière d’un 21 Grammes, le récit se replie sur lui-même et arbore une structure non linéaire, mêlant passé et présent, colère et désespoir, avec pour axe le corps et le visage de Tilda Swinton, nous permettant de situer la temporalité du récit. Le film ne nous perd pas, au contraire sa structure en apparence complexe nous permet de mieux appréhender l’évolution psychologique des personnages, grâce à une esthétique du montage brutale et inquiétante, et insistant à travers les séquences sur la couleur rouge, véritable leitmotiv du film.

A tous les niveaux le film est exemplaire, aussi bien au niveau du scénario, de l’interprétation, du montage. Néanmoins, l’ambiance étouffante du métrage est principalement créée par le son, que ce soit par la musique composée par Jonny Greenwood, guitariste de Radiohead, ou par les différents fondus sonores ponctuant le récit.

Une véritable expérience de cinéma qui fait froid dans le dos, il aurait mérité d’être mieux distribué. A voir de toute urgence avant qu’il ne disparaisse de nos écrans.

13 mars 2011

Gachîs sidéral


  Décidément la comédie américaine ne se porte pas au mieux en ce début d’année 2011. Après le raté The Green Hornet, autre réunion de talents, place donc au tout aussi décevant Paul, réalisé par l’estimable Greg Mottola et co-écrit par le tandem Nick Frost/Simon Pegg, déjà auteurs des très bons Shaun of the Dead et Hot Fuzz. Après avoir rendus hommage aux films de zombies et aux films d’action, le duo britannique Frost/Pegg s’attaque ici au film de science-fiction en s’entourant de ce qui se fait de mieux en ce moment de l’autre coté de l’Atlantique. Ainsi, aux manettes on retrouve le réalisateur du cultissime Supergrave Greg Mottola et devant la caméra, les acteurs Jason Bateman (In the Air), Seth Rogen (qui prête sa voix à Paul l’extraterrestre) et en guest-star Sigourney Weaver (Alien, bien sur!). Aux premiers abords, le concept s’avère séduisant : un extra-terrestre enchaînant les blagues bas de la ceinture et porté sur le pétard croise, lors de sa fuite, deux geeks anglais et va faire un bout de chemin avec eux jusqu’à sa navette de sauvetage. Néanmoins, le soufflet retombe très vite et laisse place à une galette plate aux plaisirs trop rares pour être réellement appréciables. Le film se repose trop sur l’alien Paul, seul personnage sympathique du film, et au passage, meilleur acteur du film. A la différence des autres scénarios du duo Frost/Pegg, ce Paul se détache de la parodie pour virer vers un genre tendance ces temps-ci : la comédie geek. Mais plutôt que de choisir l’un ou l’autre, le film tente de faire le compromis entre les deux et échoue lamentablement dans cette tâche. La stupidité des personnages principaux et secondaires, ainsi que la vacuité et le coté attendu du scénario ne se justifient plus par la nature parodique de l’ensemble et annihilent ainsi toute approche empathique des protagonistes. Il n’est pas étonnant que dans ce méli-mélo scénaristique, le seul à dégager une réelle sympathie est l’extraterrestre lui-même car il est le personnage parodique du film. La mise en scène de Greg Mottola n’est pas exempte de tout reproche. En effet, face à ce matériau bancal, le réalisateur d’En Route vers Manhattan ne réussit pas à trouver un angle d’attaque pertinent et clair. Tantôt parodique (lorsque Paul souffle des conseilles à Spielberg par téléphone pour l’écriture de E.T.), tantôt simplement comique (les scènes lourdasses de discussion entre Frost et Pegg quant à la conduite à adopter face aux problèmes posés par la présence de Paul.), la mise en scène oscille entre ces deux registres, ne cherchant pas à donner un sens à son dispositif, préférant se plier avec docilité à un scénario bancal.
  En somme, si le film est loin d’être complètement déplaisant, notamment grâce au personnage déjanté de l’extraterrestre, ce Paul s’affirme néanmoins comme un gâchis notable au vue du nombre des talents impliqués. Jusque là auteur d’une filmographie intéressante, plus adepte de la comédie Américaine que de la comédie geek, Greg Mottola se place dans une position de simple faiseur pour ce quatrième long-métrage. Ni réelle parodie, ni pure comédie geek, c’est bien ce dernier public qui pourra trouver son compte dans cette comédie complaisante. Il est de notoriété public que le tandem Frost/Pegg représente la culture geek. En abandonnant la parodie pure, il prive ainsi les non-initiés d’une voie d’accès au métrage. Dommage ! 


Paul, réalisé par Greg Mottola, avec Simon Pegg, Nick Frost, Jason Bateman, Sigourney Weaver, Kristen Wiig...