21 janvier 2012

L'homme qui aime cette femme


Millenium, Les hommes qui n'aimaient pas les femmes, de David Fincher, 2h38, USA
Avec Daniel Craig, Rooney Mara, Christopher Plummer, Robin Wright, Stellan Skarsgard...




  Depuis maintenant plusieurs années, la sortie d’un film de David Fincher fait figure d’événement attendu par la critique et les cinéphiles de tout bord. Mais jamais un de ses films n’aura suscité autant d’attente que celui-ci. En effet, à la suite du succès de The Social Network, le cinéaste annonce qu’il réalisera le remake (il serait d’ailleurs pertinent de s’interroger sur cette notion un de ces jours) du film Suédo-danois Millénium, adapté de la trilogie littéraire scandinave éponyme du regretté Stieg Larsson. Le film de Niels Arden Oplev étant plutôt réussi, on était en droit de se demander ce que pouvait réellement apporter la présence de David Fincher dans cette entreprise. Et autant le dire tout de suite, le film du cinéaste Américain est bien meilleur que le film original.

  Pour la poignée de réfractaires qui ignorerait tout de l’histoire, la voici en quelques lignes. Après un procès perdu face à un puissant homme d’affaires corrompu, faute de preuves vérifiables, le journaliste Mikael Blomkvist (Daniel Craig) voit sa crédibilité et son épargne réduites à néant et son journal, le Millénium, menacé de faillite. C’est alors que se manifeste le patriarche d’une des plus éminentes familles d’industriels suédois, qui lui propose, contre une importante somme d’argent et la promesse de lui fournir les preuves qui lui permettraient de gagner son procès en appel, d’enquêter sur la disparition de sa nièce, survenue quarante années plus tôt. Un bon moyen de regagner sa crédibilité, laver son honneur et de renflouer le navire en somme. Epaulé de Lisbeth Salander (Rooney Mara), jeune femme cyber-punk à l’enfance douloureuse et génie de l’informatique, Blomkvist va se frotter à la face cachée de l’empire Vanger. Mensonges, tortures, viols, inceste, sérials-killers, criminels nazis, animaux mutilés, voilà ce qui vous attend au programme de ce thriller glaçant et métallique. David Fincher y explore alors un univers qu’il maîtrise depuis ses premiers films, où le sombre et le chaos règnent en maître sur un monde dominé par ces forces souterraines. On pense alors très fort à Seven ou à Fight Club, les tics visuels en moins.

  Mais là où le film se montre fascinant, c’est dans la collision entre le matériau original et l’univers du cinéaste. Au vue du texte de Stieg Larsson, il n’est pas difficile d’en tirer un thriller convenable (ce qu’est le film de Niels Arden Oplev). David Fincher en a lui saisi l’essence, pas seulement l’esprit, pour l’entraîner, par touches subtiles, vers des rivages hautement plus personnels. Ce qu’il propose au sein même de ce film, c’est la confrontation qui travaille l’essentiel de son œuvre, celle du moderne contre l’archaïque. Les méthodes à l’ancienne de Mikael Blomkvist s’oppose à l’univers virtuel de Lisbeth Salander. Si le travail du journaliste permet de relancer l’enquête, ce n’est que par l’arrivée de la jeune rebelle que se déverrouillent les derniers cadenas de l’affaire. Elle est littéralement celle qui possède les solutions et qui sauve Blomkvist d’un funèbre destin. Elle est la véritable héroïne du film, personnage jumeau du Zuckerberg de Social Network et proche cousin du Robert Graysmith de Zodiac. En l’élevant au rang d’anti-héros, David Fincher démontre une nouvelle fois son empathie pour les personnages d’anti-sociaux, de rebelles et d’exclus et offre un rôle en or à la révélation Rooney Mara.

  Le film est construit comme une véritable descente dans les entrailles visqueuses d’un monde en apparence reluisant. Si The Social Network était une variation sur la figure du champ contre-champ, ce Millenium possède une construction verticale, notamment descendante. Pour résoudre cette enquête, Blomkvist va devoir plonger dans l’obscurité insulaire des manoirs Vanger aux volets fermés, faits de couloirs et de cavités, là où les apparences ne tiennent plus et où les comportements humains laissent place à une animalité sans scrupules. Dans cette descente, il rencontrera la belle Lisbeth Salander, écorché vif désabusée par le monde des hommes et s’unira avec elle. Mais ces deux personnages n’appartenant pas au même monde, Blomkvist retrouvera la lumière tandis que Lisbeth retournera, seule, se tapir dans l’obscurité. Ce que le dernier plan du film traduit dans un mouvement desendant dont la beauté n’a d’égal que sa puissance dramatique. 

Still Alive


  Un temps menacé par des problèmes de budget, le Festival International du Film Fantastique de Gérardmer tiendra bien cette année sa XIXème édition pour le plus grand bonheur des amateurs de cinéma de genre. Avec le récent succès du tout nouveau PIFF (Paris International Fantastic Film Festival), c’est le spectateur qui est gâté. Néanmoins, on peut se demander s’il y a la place en France pour deux grands festivals consacrés au fantastique, sachant que la notion de cinéma de genre est elle-même chahutée depuis quelques années. L’un ne va-t-il pas manger l’autre ? Seul l’avenir nous le dira.
  En tout cas, pour la cinquième année consécutive, l’équipe de Sur La Route du Cinéma se trouvera dans les Vosges à partir du 25 Janvier pour couvrir l’ensemble du festival dans les moindres recoins de ses sélections. Et cette année, autant dire que le programme s’annonce alléchant. Pour ouvrir le festival, ce n’est pas moins que le grand Francis Ford Coppola qui viendra ouvrir le bal avec son dernier long-métrage, Twixt avec Val Kilmer et Elle Faning. Pur moment de magie garantie par un cinéaste dont l’œuvre est parcourue par un frisson de fantastique et de féerie. Autre événement de ce XIXème festival, l’hommage fait à l’acteur Ron Perlman, véritable gueule du cinéma de genre de ces vingt dernières années. Le prix sera remis par, celui qui lui a confié ses plus premiers grands rôles, le réalisateur Jean-Jacques Annaud.

  Présidé par le dessinateur et réalisateur Enki Billal, le jury sera une nouvelle fois des plus éclectiques, composé entre autres de Vincent Desagnat, Christine Citti, Joann Sfar, Tomer Sisley, Tonie Marshall, Dinara Drukarova, Agnès Merlet. Il sera chargé de départager 8 longs métrages en compétition. Si les retours sur les films présentés sont rares, on peut quand même citer le nouveau rôle de Noomi Rapace après Millenium dans Baby Call en mère au bord du gouffre, le nouveau film de la réalisatrice d’American Psycho, the moth diaries, et un film espagnol signé Kike Maillo avec le polyglotte Daniel Brühl. Hors compétition, on retrouve le troisième long métrage de Marina de Van, nouvelle adaptation du Petit Poucet, Chronicle de Josh Tank, dont les bandes annonces inondent les salles obscures. Plus attendu, Lucky McKee, le réalisateur du cultissime May revient avec The Woman, confirmant au passage son attrait pour les personnages féminins. Ces films côtoieront d’autres aux pitchs plus déjantés, mettant en scène pêle-mêle des ninjas défiant des vikings et autres aliens en bikini. Et enfin, pour clôturer le festival, Xavier Gens viendra présenter son dernier film, The Divide, au casting international.

  Seul changement notable, la suppression de la sélection Inédits Vidéos, devenu désuète, au profit d’une sélection nommée extrême, promettant des films qui vont se frotter aux limites du genre, dans laquelle on retrouve les derniers films de Darren Lynn Bousman (Saw, Repo Man), Joël Schumacher (Batman Forever, 8mm) et le premier film du clippeur Alexandre Courtès. Pour finir, évoquons la traditionnel Nuit Fantastique, cerise sur le gâteau, dont l’ambiance sera une nouvelle fois surchauffée car la nuit est consacrée à la comédie horrifique. Un lourd programme que nous vous décortiqueront tous jours sur Brume 90.7FM.

Retrouvez-nous nombreux du 25 au 30 janvier sur Radio Brume 90.7FM. Et pendant notre absence, n’oubliez pas, allez au ciné.

L’aventure selon Spielberg

Les Aventures de Tintin: Le Secret de la Licorne de Steven Spielberg, 1h47, USA
Avec Jamie Bell, Andy Serkis, Daniel Craig, Simon Pegg, Nick Frost…
C’est avec la sortie des Aventuriers de l’arche perdue, en 1981, que Steven Spielberg entendit parler pour la première fois de Tintin, ce jeune reporter belge parcourant le monde d’aventures en aventures. Une critique française avait en effet vu le lien de parenté entre le personnage d’Hergé et son célèbre archéologue Indiana Jones. Subjugué par la force narrative des récits du dessinateur, Steven Spielberg se met alors en tête d’acheter les droits de la bande-dessinée avec l’idée de l’adapter le plus fidèlement possible. Il lui fallut près de trente ans afin trouver la technique adéquate. C’est l’association avec son héritier direct, le réalisateur du Seigneur des Anneaux, Peter Jackson et une visite sur le tournage d’Avatar dirigé par James Cameron qui l’ont convaincu que seule la technique révolutionnaire de la performance capture pouvait saisir l’essence même de la ligne claire chère à Hergé.

Tout le monde, au moins une fois dans sa vie, a lu ou vu, la formidable série en dessin animé de notre enfance, une aventure de Tintin. De fait, dire que cette nouvelle adaptation était attendue et redoutée tient purement de l’euphémisme tant la création d’Hergé est aimée à travers le monde, voir même adorée par certains aficionados. Force est de constater que Les Aventures de Tintin: Le Secret de la Licorne, qui reprend ici trois albums (à savoir Le Secret de la Licorne, Le Trésor de Rackham le rouge et Le Crabe aux pinces d’or), est une réussite exceptionnelle et relève du jamais vu sur un écran de cinéma.

Non seulement la performance capture parvient à exposer avec crédibilité l’univers si particulier du dessinateur, entre simplicité et détails à foison, mais aussi à hisser la mise en scène toujours virtuose de Steven Spielberg vers de nouveaux sommets. Il faut voir le degré de réalisme ici atteint nous présentant des êtres numériques entre réalisme du corps humain (veines, pores de la peau, saleté sous les ongles etc…) et traits de bandes-dessinées. A ce titre le Capitaine Haddock, véritable héros du film et personnage Spielbergien en diable de par son passé familial meurtri, est d’une beauté à couper le souffle.

Le réalisateur de Jurrasic Park revient avec Tintin à l’aventure au sens le plus noble du terme et au spectacle total, sources même de son cinéma, ici dégagées de toutes contraintes techniques comme le prouve cette scène hallucinante à Bagghar où tout s’écroule, explose, saute de voiture en voiture, voltige dans les airs dans une pleine séquence d’anthologie. Comme si Steven Spielberg voulait marquer une date dans l’histoire de ce cinéma nouveau et décomplexé après les monumentaux Speed Racer, Avatar ou Scott Pilgrim. Le film de James Cameron nous l’avait promis, celui de Steven Spielberg nous le prouve: nous vivons là une décennie de cinéma de folie.

La fidélité envers l’œuvre de Hergé et la mise en scène sont bel et bien au rendez-vous tout comme le scénario habile signé des meilleurs anglais du moment, à savoir Steven Moffat , Joe Cornish et Edgar Wright, et bourré de transitions brillantes, de ruptures temporelles et de péripéties délirantes. Le tout en reconstituant avec un brio rare l’atmosphère de l’entre deux-guerres, des sérials d’antan, les thèmes récurrents du cinéma de Spielberg et l’esprit de Tintin bien sur.

Le génie du film tient pour beaucoup à son casting très bien pensé où l’expert de la performance capture Andy Serkis, ancien Gollum et King Kong et tout juste sorti du rôle de César dans La Planète des singes: les origines, livre une nouvelle performance en un Haddock alcoolique et dépressif tandis que Jamie Bell se révèle être un Tintin extrêmement convaincant. Et saluons l’idée, tout bonnement géniale, de confier les rôles de Dupond et Dupont au duo frappadingue Simon Pegg-Nick Frost véritables Laurel et Hardy modernes. Enfin, avec Les Aventures de Tintin: Le Secret de la Licorne John Williams, compositeur attitré des musiques de films de Steven Spielberg, signe là l’une de ses plus belles compositions à ce jours à la fois très européenne dans l’univers qu’elle dégage et remplie de mystères et d’aventures.

En somme Les Aventures de Tintin: Le Secret de la Licorne se voit tout simplement comme l’un des plus grands films d’aventures jamais vus dans la lignée directe de Lawrence d’Arabie, Le Trésor de la Sierra Madre et des Aventuriers de l’arche perdue de par son souffle épique, son rythme trépidant, ses personnages iconiques, ses décors évocateurs et sa mise en scène toujours plus immersive. Steven Spielberg tient là l’un des plus grands films de sa carrière et prouve à ceux qui ne l’avait pas encore compris qu’il est bel et bien le plus grand artiste de son temps.

Un très grand film à voir en famille !