5 octobre 2011

Toute la beauté des femmes

L’Apollonide, souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello , 2h02, France
Avec Hafsia Herzi, Noémie Lvovsky, Adèle Haenel, Céline Salette…


Une maison close feutrée à la fin du 19eme siècle, un client s’isole avec une prostituée et la mutile, le rêve ou le cauchemar éveillé peut alors débuter. Ainsi commence L’Apollonide, le cinquième film de Bertrand Bonello sélectionné cette année au festival de Cannes en compétition officielle. Cet habitué de la croisette signe ici une œuvre profondément remarquable de par son soin constant apporté aux actrices, cadres et autres lumières et livre un constat amère sur la condition féminine à travers les âges. Dans une volonté quasi documentaire, mais qui n’exclut jamais un travail poussé de mise en scène, Bertrand Bonello nous fait littéralement entrer dans un autre monde, véritable métaphore des tragédies de tout un siècle.

Reprenant une figure purement cinématographique, la prostituée, le réalisateur filme toujours au plus près les corps dénudés de ces fascinantes actrices entre désir, sensualité, crainte et répulsion. Et cela toujours au service d’une vérité sur une époque charnière, passage du XIXème au XXème siècle, transition d’un temps très glam-rock où la naïveté jouit de chaque instant, à un autre beaucoup plus sombre où tout désormais semble pervertit, la faute à l’Homme, responsable du péché originel du film.

Bertrand Bonello nous montre ainsi toutes les déviances possibles au sein de cet établissement quelque peu particulier. Tortures, balafres qui en découlent, bain de champagne, présence d’une panthère noire, simulacre de poupée et autres larmes de sperme, autant d’épisodes filmés avec un talent rare comme de véritables tableaux vivants. Il y a du Barry Lyndon dans cette mise en scène picturale de Bertrand Bonello, et pas seulement a-t-on envie de dire, tant le cinéaste emprunte et rend hommage à toute une tradition cinématographique.

Le Plaisir de Max Ophuls, et plus particulièrement son segment consacré aux prostituées de La Maison Tellier, y est cité au détour d’une scène de bain dans un étang à l’instar de La Dame de Shangaï de Orson Welles dans une démarche similaire de mise en beauté du corps féminin. Mais Bertrand Bonello en tant que grand cinéphile se permet d’aller encore plus loin en empruntant le style décalé du Marie-Antoinette de Sofia Coppola au travers une b.o toujours plus rock et inspirée (The Moody Blues, Lee Moses…) et la structure narrative du chef-d’œuvre de Sergio Leone, Il était une fois en Amérique. L’Apollonide, souvenirs de la maison close peut se voir en quelque sorte comme le pendant féminin du film du célèbre réalisateur italien au travers le personnage de Clothilde qui, pour s’échapper de ce huit-clos, préfère s’isoler dans le paradis artificiel que représente l’opium. Figure du criminel pour l’homme, figure de la prostituée pour la femme comme le souligne le film. Les visions fantomatiques se succèdent alors entre flash-back, flash-forward, entre passé, présent et futur et font entrainer le spectateur dans un étrange rêve. A ce titre, l’ultime séquence du film, pourtant surprenante de premier abord, se révèle être d’une logique pure au sein de cette narrativité à la fois magnifiquement onirique et tristement réaliste.

Signalons au passage l’interprétation sans faille des très bonnes (sans mauvais jeu de mot) Hafsia Herzi, Adèle Haenel et Celine Salette en prostituées au service de la toujours excellente Noémie Lvovsky.

Au final, Bertrand Bonello signe avec L’Apollonide, souvenirs de la maison close une rêverie amère et désenchantée, profondément travaillée de par son audacieuse narration et la beauté de sa mise en scène qui ne cesse de valoriser ses sublimes actrices. Un film libre, à l’inverse de ses personnages, jouant habilement des clichés d’une époque révolue afin de mieux capter les obsessions et les névroses de notre temps.

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